IPBES 2 : comment ça fonctionne?

Ceci est la suite de l’article sur l’IPBES, alertes sur la biodiversité, publié récemment.

Par Marie-Hélène Vuillemin

Souvenez-vous ! l’IPBES ce n’est pas une Invraisemblable Punaise des Bois En Slip, c’est « l’Inter-governmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services » et ça fonctionne à peu près comme le GIEC.

Financement.

Le budget annuel de l’IPBES est de quelques millions de dollars[1], qui permettent de salarier une équipe permanente domiciliée à Bonn, d’éditer et de diffuser les résultats de l’IPBES dans le monde entier, et de prendre en charge les voyages des délégués pour les assemblées générales qui se tiennent dans tous les pays du monde, plusieurs fois par an, ainsi que pour les réunions de travail des experts. L’IPBES comme le GIEC fonctionne à coûts très réduits, en s’appuyant sur les ressources des Etats, de manière à rester indépendant. Toutefois, les membres de l’IPBES ont très récemment décidé d’accepter des financements privés, en excluant toute orientation de leurs travaux par ces financeurs.

De l’idée à l’évaluation.

L’IPBES produit des rapports d’expertise sur des sujets qui sont proposés par les Etats et approuvés lors des assemblées générales, toujours par consensus. Entre l’approbation  d’une proposition et celle d’un rapport d’expertise, il se déroule plusieurs années. Par exemple, l’évaluation de l’usage durable des espèces sauvages, décidée en mars 2017, a été rendue publique en juillet 2022[2]. Entre-temps, des experts internationaux sont nommés pour coordonner le travail. Ils recrutent une équipe d’une dizaine de scientifiques, couvrant tous les domaines nécessaires et les différentes parties du globe. Ils définissent un plan, qui est soumis à l’approbation des Etats. Puis, avec le concours de co-auteurs (une centaine), ils produisent un premier jet, qui est soumis à une évaluation internationale ouverte. La compilation et l’analyse des retours de la consultation représentent un travail colossal. Le document qui en découle l’est tout autant (quelques milliers de pages, quelques milliers de références) et reste de l’entière responsabilité des scientifiques. C’est le rapport d’évaluation. Dernière étape, majeure : l’équipe restreinte produit un « résumé à l’intention des décideurs » ou « la science pour les nuls », d’une centaine de pages, en langage courant. Ce document va être discuté mot à mot en assemblée générale pendant de longues heures. Les Etats l’approuvent par consensus. Par abus de langage, c’est ce document que l’on appelle « rapport de l’IPBES ».

De quoi parle-t-on?

Lors d’une assemblée générale, on discute de sujets très concrets comme le budget, les contributions des Etats, les meilleures façons de respecter la parité, de permettre aux Etats les moins riches de contribuer, de promouvoir les enjeux de la biodiversité à tous les niveaux de la société. Ces sujets sont relativement consensuels. En revanche,  dès que l’on passe à l’approbation d’un thème, d’un plan ou d’un résumé de rapport… chaque mot compte ! Bien que les rapports de l’IPBES ne soient en aucun cas prescriptifs, ils sont validés par les Etats, qui ne peuvent prétendre en ignorer les conclusions. Chaque Etat défend donc son modèle économique, sa culture et sa ligne politique. Parmi les sujets ultra-sensibles, on trouve l’agriculture, la pêche, le tourisme, ou encore la déforestation. Certains vont refuser qu’un aspect particulier soit développé dans le futur rapport, ou bien demander systématiquement à modifier un terme. Par exemple, demander à ce que l’on dise « la pêche non durable » plutôt que « la pêche » … « a des effets sur la biodiversité », pour laisser penser qu’il existe une pêche durable et qu’elle n’a pas d’effets. Les rôles du président de séance, du coordinateur scientifique et du président du panel d’experts sont alors cruciaux. Leur objectif est que les Etats se mettent d’accord sur une formulation qui ne trahisse pas les conclusions scientifiques du rapport. Le président de séance doit sentir la marge de manœuvre qu’il a dans la salle, être à l’écoute des demandes car elles sont toujours motivées, mais aussi faire preuve d’autorité si les débats s’enlisent. Les scientifiques doivent se faire assez souples pour modifier leur texte dans la mesure où le sens n’est pas affecté, et surtout, éclairer les débats en rappelant les conclusions auxquelles ils sont arrivés. Par exemple : à ce jour, toutes les publications examinées concluent que la pêche a un impact sur la biodiversité ; donc le qualificatif « non durable » n’est pas pertinent.

La première évaluation mondiale de la biodiversité a été acceptée par consensus en mai 2019 à Paris, grâce à Sir Robert Watson qui n’a pas ménagé sa peine pendant de longues nuits de négociations. Chimiste de formation, il a présidé le GIEC 1997 à 2002, puis l’IPBES de 2016 à 2019. Il s’est emparé de ce nouveau sujet avec passion, gagnant le respect des scientifiques et des délégués. Flegmatique, il ne se départ pas de sa cravate. Mais lorsque les discussions n’aboutissent pas, on peut le voir transpirer à grosses gouttes, les frisottis de ses cheveux trahissant soudain un énervement bien dissimulé. Il est temps de faire quelques concessions !

Brigitte Baptiste, Colombie
Sir Robert Watson, UK.

Parmi les figures emblématiques de l’IPBES, on trouve aussi dr. Brigitte Baptiste qui a été membre du premier panel d’experts et ne passe jamais inaperçue, avec son look punk et ses formes plantureuses. Elle a dirigé l’institut Humboldt sur la biodiversité et se trouve maintenant à la tête de l’université EAN à Bogota. Au premier abord, elle fait parfois sourire. Mais dès qu’elle prend la parole, on est conquis par sa puissance intellectuelle et sa tranquille assurance. En 2018 à Medellin, elle a présidé le sous-groupe régional de l’Amérique du Sud, riche en potentiels conflits autour de l’Amazonie, de la déforestation, des savoirs ancestraux… Heureusement, ses compétences de chercheur sont aussi transverses que sa personne : elle mêle l’écologie du paysage, les savoirs indigènes et locaux, les sciences du comportement et le développement durable. A l’écoute, précise et ferme, elle a obtenu un document consensuel et intègre. Il faut être honnête, on l’aurait bien vue brésilienne. Pourtant, Brigitte Baptiste est colombienne, et il y a vingt ans, elle s’appelait Luis. Elle dit qu’elle contribue à la biodiversité de l’IPBES.

Les experts du panel de l’IPBES, renouvelé en 2020, sont répartis sur toutes les régions des nations unies et couvrent tous les domaines de l’écologie et de la biologie terrestre, marine ou aquatique, mais aussi l’agriculture, la géographie, l’urbanisme, l’hydrologie et le droit. Dans sa version de 2016, le panel comprenait en outre une anthropologue et un économiste. La diversité des sciences humaines et sociales, ça rajoute un peu de piment !

Piment, vous avez dit piment?

[1] 5 à 10 en 2021-2022

[2] https://ipbes.net/media_release/Sustainable_Use_Assessment_Published