IPBES : alertes sur la biodiversité

Par M.-H. Vuillemin, polytechnicienne, chercheure en écotoxicologie, responsable du secteur « sciences de la Terre et de l’univers » au ministère de la recherche.

9ème rencontre de l'IPBES, 2022
Biodiversité
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9ème rencontre de l’IPBES, 2022

L’IPBES, keske c ???

Non, non, ce n’est pas L’Inoubliable Partie de Boules Evenos-Solliès! (ci contre)

Il s’agit de l’Inter-governmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services.

C’est toujours pas clair ? Quand on veut se faire comprendre, on dit que l’IPBES, c’est le GIEC de la Biodiversité[1].


Inoubliable partie de boules…?

La biodiversité!

« La biodiversité désigne la variété des formes de vie sur la Terre, qui s’apprécie en considérant la diversité et l’abondance des écosystèmes, des espèces et des gènes, phénotypes et fonctions dans l’espace et dans le temps, ainsi que les interactions au sein de ces niveaux d’organisation et entre eux. » Mazette ! Le terme est entré dans le Larousse en 1994… et en 2010, seulement un quart des français pensait en avoir une bonne compréhension !

Le gèneL’espèceLa populationL’écosystème

Pourquoi ne pas parler tout simplement de la nature ?

C’est un terme qui est très difficile à définir dans un contexte scientifique. L’Homme a tellement transformé son environnement et les espèces qui lui sont proches qu’il est difficile de distinguer le naturel de l’anthropique. Pour l’anthropologue Philippe Descola:

« la nature, cela n’existe pas. La nature est un concept, une abstraction. C’est une façon d’établir une distance entre les humains et les non- humains (…). La nature est un dispositif métaphysique, que l’Occident et les Européens ont inventé pour mettre en avant la distanciation des humains vis-à-vis du monde.[2

Philippe Descola, Par-delà Nature et Culture, 2005, Gallimard

C’est seulement en Occident que la nature est pensée comme la Terre hors les humains et dans beaucoup de civilisations, ce mot n’existe pas! De nombreuses cultures d’Amérique du sud voient très différemment la nature : les arbres, les cours d’eau sont identifiés comme des sujets à part entière, ayant parfois des liens de parenté avec les hommes et aussi des droits juridiques. Il faut donc bien préciser les termes avant de démarrer une discussion internationale sur la nature !

Cependant, très récemment, en partie pour rendre son discours plus accessible dans les pays occidentaux, l’IPBES a introduit le terme de « Nature’s Contributions to People » dans son référentiel (voir plus bas). On utilise aussi l’image du « tissu vivant de la planète », qui traduit bien la dépendance des espèces les unes aux autres, ainsi que la potentielle résilience de la biodiversité.

Un tissu auquel il manque des fils (des espèces) reste uni (résilience) mais devient fragile (vulnérabilité)Un tissu déchiré (atteintes locales) ne remplit plus ses fonctions et est fragileUn tissu déchiré peut se réparer, même avec d’autres fils et redevenir solide (résilience)Un tissage serré, avec des fils différents, est solide, fonctionnel et beau
Explication de la résilience par comparaison avec un tissu

Pourquoi des termes aussi techniques ? Parce que les sciences du vivant sont beaucoup plus jeunes que les sciences physiques et que l’on ne dispose pas encore d’un « thermomètre à biodiversité » qui fonctionne à la fois pour les bactéries, les arbres, les poissons… et qui soit familier à tout le monde. Les scientifiques tâtonnent encore mais peut-être que d’ici trente ans, on aura trouvé une façon de mesurer la biodiversité que tout le monde comprendra et qu’on pourra utiliser partout !

Et la panthère des neiges ? Qu’en dit l’IPBES ? On a tous un animal ou une plante fétiche, qu’on s’inquiète de voir disparaître : l’ours blanc sur son glaçon –qui fond-, la panthère des neiges, le panda… C’est ce qu’on appelle des espèces emblématiques. Elles sont importantes car elles permettent de sensibiliser le grand public à des enjeux qui touchent aussi beaucoup d’autres espèces. Mais ce ne sont pas toujours les plus importantes pour les scientifiques, qui vont plutôt surveiller les « clefs de voûte » sans lesquelles l’écosystème s’effondre, ou bien encore les « espèces ingénieures », qui rendent leur environnement habitables par d’autres espèces (ex. : les fourmis, les castors, les coraux…). Les espèces pollinisatrices (abeilles, guêpes, mouches, papillons, chauve-souris, oiseaux, etc…) font partie des espèces clefs de voûte.

Le maërl, un habitat très riche produit par des algues calcaires.
Un sphinx colibri butinant un chardon

Au contraire, les espèces invasives risquent de faire disparaitre toutes celles avec lesquelles elles rivalisent. Ça vous rappelle quelqu’un ?! Ne vous inquiétez pas, l’homme ne fait pas partie des espèces étudiées…

Contrairement aux idées reçues, les écologues ne se focalisent donc pas seulement sur des espèces aux noms rigolos comme le sonneur à ventre jaune ou la grenouille agile[3]!

Les services écosystémiques. Ils ont été définis en l’an 2000, dans un travail international comandé par l’ONU[1]. Il y a les services d’approvisionnement, les services de régulation, les services de soutien, et les services culturels. Par exemple, les bovins nous approvisionnent en viande, en lait, en corne ; les forêts nous approvisionnent en bois ; les océans régulent la concentration en CO2 et en O2 dans l’atmosphère ; les insectes soutiennent la production des plantes en les pollinisant; observer les animaux sauvages est distrayant, se promener en montagne est ressourçant et inspirant… ce sont donc bien des services offerts et utiles à l’humanité qui sont surveillés et régulièrement évalués par l’IPBES. Ce choix fait l’objet d’une querelle irrésoluble entre les scientifiques idéalistes qui voudraient que l’on protège les fonctionnalités des écosystèmes pour eux-mêmes, et les scientifiques pragmatiques qui pensent que c’est en alertant sur la perte de services utiles à l’homme que l’on a une chance de préserver la biodiversité…


ApprovisionnementSoutienRégulationCulture
Fonctions dans les écosystèmes (exemples)

Nos sociétés seraient-elles prêtes à protéger les écosystèmes pour eux-mêmes, sans en retirer aucun bénéfice, voire en en pâtissant ? Conserver, par exemple, des marais putrides, paradis des amphibiens, des insectes et… des moustiques, parfois vecteurs de maladie ? Permettre aux loups et aux ours de se développer ? Sommes-nous prêts à nous sentir simplement « vivants »,  et à cohabiter avec diplomatie avec les autres vivants, comme nous y invite le philosophe Baptiste Morizot[5] ? Les politiques, porte-paroles de la société, y sont pour l’instant clairement opposés. Or, les évaluations de l’IPBES, comme celles du GIEC, sont bien destinées aux Etats[6], qui se mettent d’accord sur la formulation des résumés. Quant aux acteurs économiques, ils demandent à ce que les services soient quantifiés et monétarisés afin d’optimiser leurs développements et de proposer des compensations après d’éventuelles dégradations. Beaucoup de scientifiques pensent que cette approche ouvre la porte à des dégradations irréparables en échange d’une indemnisation dérisoire[7].


Alors c’est vrai, les écologues utilisent parfois des termes bizarres, ils ne sont pas toujours d’accord… Mais au fond, les messages de l’IPBES, ceux qui ne les comprennent pas, ce sont surtout ceux qui ne veulent pas les entendre, non ?

« La nature et ses contributions vitales aux populations, qui ensemble constituent la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, se détériorent dans le monde entier. (…)

La biodiversité s’appauvrit plus rapidement que jamais dans l’histoire de l’humanité. (…)

Les régions du monde où il est prévu que les conséquences des changements mondiaux en matière de climat, de biodiversité et de contributions de la nature aux populations soient fortement ressenties sont également celles qui abritent de fortes proportions de peuples autochtones et nombre des communautés les plus pauvres du monde. »

extraits de la 1ère évaluation mondiale de la Biodiversité par l’IPBES, 2019, Sandra Diaz et al., 2019, IPBES/7/10/Add.1.
La richesse des écosystème encore une fois illustrée avec des tissus

Si vous voulez prolonger la réflexion :

Notes de bas de page

[1] Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat, acronyme francisé de IPCC : International Panel on Climate Change. Contrairement à ce dernier, l’IPBES n’a pas d’acronyme français.

[2]https://reporterre.net/Philippe-Descola-La-nature-ca-n-existe-pas; interview de Philippe Descola réalisée le 1er février 2021. Voir aussi « Par-delà Nature et Culture, 2005, Gallimard, 640 pages.

[3]Qui, néanmoins, sont protégées en France !

[4]Le  Millenium Ecosystems Assessment, sur www.millenniumassessment.org

[5] Dans son livre : Manières d’être vivant, 2020, éd. Actes Sud, 325 pages, postface d’Alain Damasio.

[6] C’est une difficulté, mais c’est aussi ce qui fait la force de ces rapports, qui sont endossés par tous les Etats participants.

[7] L’un des derniers rapports de l’IPBES est consacré aux différentes façons de valoriser la nature. IPBES (2022): Summary for policymakers of the methodological assessment of the diverse values and valuation of nature of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. U. Pascual, P. Balvanera, M. Christie, B. Baptiste, D. González-Jiménez, C.B. Anderson, S. Athayde, R. Chaplin-Kramer, S. Jacobs, E. Kelemen, R. Kumar, E. Lazos, A. Martin, T.H. Mwampamba, B. Nakangu, P. O’Farrell, C.M. Raymond, S.M. Subramanian, M. Termansen, M. Van Noordwijk, A. Vatn (eds.). IPBES secretariat, Bonn, Germany. 37 pages. https://doi.org/10.5281/zenodo.6522392