Minamata, une catastrophe environnementale de grande ampleur

Par M.-H. Vuillemin, polytechnicienne, chercheure en écotoxicologie, responsable du secteur “sciences de la Terre et de l’univers” au ministère de la recherche.

Minamata est un joli – non, en fait… pas joli- port de pêche situé à l’extrême sud-ouest du Japon, où il se passe des choses bizarres, au printemps 1956. Une fillette de cinq ans est présentée à l’hôpital le 21 mai. Elle a des convulsions, des troubles du langage et de la motricité. Le lendemain, c’est sa sœur qui arrive, puis des voisins. En quelques jours, les médecins sidérés constatent une épidémie d’une maladie inconnue, causant des troubles neurologiques aigus. On constate des troubles vaguement similaires chez les chats. Comme le chat de Gaston Lagaffe, ils sautent partout, sont pris de convulsions ; certains se jettent même dans la mer et s’y noient.

Minamata, quand l'industrie ignorait royalement les impacts environnementaux
La baie de Minamata

Assez vite, les soupçons se portent sur l’énorme usine pétrochimique de la firme Chisso, qui opère à Minamata depuis 1932 un procédé de synthèse pour l’agro-chimie. Le Japon se félicite alors de cette industrie florissante. Lorsque l’on fait des prélèvements dans les effluents de l’usine – qui sont rejetés à la mer- , on y trouve un cocktail détonant de plomb, mercure, manganèse, arsenic, thallium, et cuivre… Mais après tout, on ne boit pas les eaux usées ! Alors les médecins restent perplexes, ne sachant pas s’il faut cibler un métal en particulier. De nouveaux malades sont signalés, certains succombent…  et bientôt s’y ajoutent des naissances d’enfants très lourdement handicapés, alors que les mères semblent en bonne santé.

Tant d’années avant d’identifier une cause…

Il faut attendre 1958 pour qu’un médecin anglais reconnaisse dans les symptômes les signes d’une contamination au mercure. Bah oui, maintenant que vous le dites… ça n’est pas un hasard, si le chapelier d’Alice au pays des merveilles est fou ! C’est parce qu’il travaille dans les vapeurs de mercure ! En 1958, on évalue donc les quantités de mercure présentes dans la rade, et là encore, le résultat défie l’entendement : au droit du canal de déversement des eaux usées, les sédiments sont tellement chargés… qu’il serait rentable de les exploiter comme une mine ! Les poissons sont également contaminés, et ils représentent le point commun entre les chats et les habitants.

Une solution qui tarde…

En novembre 1959, l’intoxication alimentaire au mercure est attestée et Chisso sommée de d’installer un système de traitement de ses effluents. Ce système est inauguré en grande pompe en décembre 1959… mais il est factice ! Chisso continue de contaminer l’environnement et la nourriture, de blesser et de tuer en toute connaissance de cause. Ce n’est qu’en 1966, parce qu’un procédé moins coûteux est disponible, que la compagnie changera de catalyseur, ce qui entraînera l’arrêt des rejets de mercure. On estime que des centaines de tonnes auront été déversées en mer.

Les malades ont d’abord obtenu, difficilement, des indemnisations symboliques (qq centaines de $ par an). Mais au bout de dix ans de combats, les victimes obtiendront, en justice, une réelle compensation. Officiellement on dénombre environ 3000 victimes, dont 1800 morts.

Minamata, l'empoisonnement au Mercure
Mémorial de Minamata, Japon

La catastrophe de Minamata reste l’une des plus meurtrières au monde et a marqué les esprits pour longtemps :

Scientifiquement, on a appris beaucoup de choses : si le mercure de Chisso a été aussi dangereux, c’est parce qu’il se trouvait sous une forme chimique particulière, le méthylmercure. Un atome de carbone et trois d’hydrogène accrochés au mercure… et le voilà capable de traverser les membranes qui entourent les cellules, et de s’y accumuler. On dit qu’il est biodisponible. C’est pour cela que les poissons étaient autant contaminés et que les chats et les humains, en les mangeant, ont encore plus accumulé de mercure. On dit que le méthylmercure est bioamplifié dans la chaine alimentaire. En mangeant du thon, on prend plus de risques qu’en mangeant des sardines…

Cette forme chimique a permis au mercure de traverser la barrière encéphalique et de causer des ravages neurologiques. Elle traversait également la barrière placentaire des femmes enceintes et s’accumulait dans le fœtus qui en subissait la toxicité. Eh oui, même si c’est pas joli-joli, on sait maintenant que chez certaines espèces, la femelle exporte les toxiques qu’elle a accumulés via la ponte de ses œufs…

La conduite scandaleuse de la compagnie Chisso

En septembre 1958, pour détourner l’attention de ses effluents, Chisso déplace le point de rejet sur la rivière de Minamata, provoquant une nouvelle catastrophe écologique et une dissémination encore plus large du mercure. Chisso n’a jamais communiqué d’information sur ses modes de catalyse, qui avaient été modifiés juste avant les premiers cas. Ils ont même financé des recherches pour montrer que le mercure n’était pas en cause. En 1959, ils affirment avoir installé un système de purification alors qu’il n’y en a pas, et de ce fait, de nouvelles contaminations vont avoir lieu. On a du mal à y croire, mais il faut garder en tête cet exemple prouvé de cynisme absolu lorsque l’on se heurte à un lobby industriel[1].

Enfin, au niveau international, cette catastrophe a aussi permis de s’interroger sur les risques liés aux usages du mercure et d’aboutir à la convention de Minamata (Genève, 2013) pour limiter les émissions dans l’environnement. On lui doit par exemple l’interdiction des thermomètres au mercure et la perspective de fermer les mines de mercure en 2028. En revanche, l’orpaillage illégal continue de faire des ravages dans les écosystèmes amazoniens.

Minamata : la convention sur l'environnement!
D’un mal, il doit sortir un bien, la conférence Minamata sur l’usage du Mercure

En cherchant Minamata sur le net, vous tomberez d’abord sur Johnny Depp (Minamata, 2021, biopic de la vie d’Eugene Smith, photoreporter, blessé par des employés de Chisso en 1972). La catastrophe environnementale, sanitaire et économique a été abondamment décrite et wikipédia fournit des synthèses bien documentées. De nombreux documentaires ont également été tournés, par exemple ceux de Noriaki Tsuchimoto


[1] En comparaison, les fictions « Mauvaise graine » de François Peyrache sur France Inter, et « Jeux d’influence », de Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez sur Arte semblent angéliques !