IA générative et écologie : le clash inévitable?


L’usage de l’intelligence artificielle (IA) générative a considérablement augmenté ces dernières années (1), mais est-ce bon pour une planète qui traverse une crise écologique ?

Evacuons tout de suite les banalités :

Oui, toute technologie peut être bénéfique ou dangereuse selon l’usage qu’on en fait. Et oui, le monde grouille d’apprentis tyrans en puissance qui en feront un mauvais usage.

Oui, également, tout technologie provoque un effet rebond, aussi appelé Paradoxe de Jevons : plus elle facilite la vie, plus elle optimise les rendements, plus elle est utilisée, et donc même si elle permet des économies d’énergie, on observe systématiquement à l’usage, une augmentation des consommations. Ce sont les limites déjà très documentées de toute technologie.

C’est donc autrement que nous devons poser la question et nous allons nous poser deux questions clé :

  • comment évaluer l’impact environnement de mes usages de l’IA ?
  • et que peut faire l’IA pour l’écologie ?
Image représentant un homme-arbre très coloré avec un motif de circuit imprimé.

Comment évaluer l’impact environnemental de mes usages de l’IA ?

La réponse à cette question est complexe et dépend fortement des usages, comme nous avons pu le constater avec les clients de Green Lean Consulting pour toutes les questions de sobriété numérique. Commençons par un exemple très simple qui n’est pas l’IA mais qui permet de poser intelligemment la question. Quelles sont les externalités d’une réunion en visioconférence par rapport à une réunion en présentiel ? Nous avons des outils pour évaluer les facteurs d’émission d’une visioconférence sur un ordinateur en réseau, ou sur un portable et nous pouvons faire des scénarios pour comparer l’impact carbone de telles réunions par rapport à l’impact de la mobilité des personnels convoqués pour du présentiel. Sur cette question relativement simple, calcul fait, c’est assez tranché : dès qu’on économise des déplacements en voiture ou en avion, se réunir en visioconférence diminue l’impact carbone. Si tout le monde vient en transport en commun, avantage à la réunion en présentiel par rapport à la visioconférence. Et si des collaborateurs qui viendrait en transport en commun profitent de la journée de télétravail pour faire des activités avec leur voiture, c’est encore pire.

Avec l’IA, c’est plus compliqué pour connaitre les impacts car les éditeurs d’IA ne sont absolument pas transparents sur les consommations réelles, et plus compliqué pour évaluer ce qui est économisé en contrepartie. Ce que nous savons, c’est que l’impact énergétique et donc l’impact carbone des IA est très important.  Google a récemment admis une augmentation de 50% de son impact carbone global à cause de l’IA. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte et c’est essentiellement l’usage énergétique des data centers (et leur impact environnemental) qui est en cause. Cet usage se divise en deux catégories : l’entrainement des IA, et la réponse aux requêtes des utilisateurs. Le coût de l’entrainement des IA est à répartir sur toutes les requêtes qui seront formulées, mais il faut savoir qu’une seule séance d’entrainement de ChatGPT3 aurait consommé 1200 GigaWh selon une étude danoise, soit autant d’énergie que deux cent quarante foyers français en un an (2). Et aussi 700m3 d’eau, car les data center utilisent de l’eau pour leur refroidissement.

Les kWh consommés par les data center sont à convertir en impact carbone. Le calcul le plus simple pour évaluer l’impact carbone des data center, c’est le facteur d’émission du kWh d’énergie électrique. En France, il est généralement inférieur à 50g de carbone par kWh quand il s’agit d’un mix énergétique, beaucoup moins s’il est alimenté par du renouvelable ou du nucléaire. Aux USA, on monte à 800g par kWh, et 940g en Chine. Donc l’impact carbone des consommations électriques peut varier d’un facteur 10 à 20 en fonction de l’implantation des data center. Préférez une IA européenne et surtout française pour cette raison. Ce n’est pas tout, les puces elles-mêmes utilisées dans les data center peuvent avoir une consommation qui varie d’un facteur 2 ou 3 selon qu’elles sont génériques ou optimisées pour les usages du data center (données fournies par les professionnels). Les datas center soucieux de leur impact développent également de nouvelles techniques de refroidissement, tels que le refroidissement par rideaux d’eau, avec beaucoup moins d’impact en termes d’électricité et d’eau. Et enfin, la quantité de données qui est analysée par l’IA, et la façon dont elles sont analysées peuvent avoir un impact considérable, en témoigne l’arrivée de DeepSeek, l’IA chinoise qui a couté 100 fois moins à construire qu’une IA américaine, parce qu’elle a entrainé ses données avec un algorithme plus sobre. Nous n’en sommes qu’au début et l’exploitation intelligente des moteurs d’IA va sans doute contribuer à en réduire les externalités dans certaines régions du monde (Europe et Chine) tandis que d’autres (Amérique du Nord) vont dépenser sans compter, l’efficacité énergétique n’est pas dans leurs priorités.

C’est un premier critère : selon l’IA à laquelle vous faites appel et sa localisation, vous acceptez un coût environnemental qui peut sans doute varier d’un facteur 10 à 100. Copilot, ChatGPT, Gemini, Claude ne sont probablement pas les meilleurs choix si vous êtes soucieux d’écologie. Il existe d’ailleurs un calculateur qui permet d’évaluer l’impact des usages de l’IA : https://huggingface.co/spaces/genai-impact/ecologits-calculator . Selon Ecologits, une petite conversation avec GPT4.0 revient à consommer 21g de CO2, 330g de CO2 avec Claude tandis que la même conversation avec Mistral version 7B correspond à 0.9g de CO2. Il y a un facteur 20 à 300 d’impact selon l’IA générative utilisée. Multipliez par tous vos usages et par quelques milliards d’utilisateurs inscrits. Si 1% de la planète faisait appel à Claude tous les jours pour cette simple requête, il faudrait 3 centrales nucléaires pour fournir l’électricité correspondante.

La question maintenant, qui nécessite de faire appel à des professionnels, c’est de mettre ces externalités en regard des services que votre entreprise apporte à la société, voire des réductions d’impact qui sont obtenues. Nous l’avons vu avec l’exemple des visioconférences, cela nécessite des calculs d’impact carbone de part et d’autre, différents pour chaque entreprise. Quels sont les usages ? Marketing ? Efficacité opérationnelle ? Sobriété énergétique ? A chaque usage une contrepartie.

Que peut faire l’IA pour l’écologie ?

J’ai commencé, tout naturellement, par poser la question à la nouvelle IA européenne, le chat, produite par Mistral. C’est le type de question qu’une IA gère parfaitement, faire des énumérations d’usage. Mais je vous promets que nous irons ensuite un peu plus loin ensuite avec des questions d’humain, et des réponses d’humain.

L’IA est tout d’abord un formidable outil d’analyse d’images, elle peut donc protéger la biodiversité, identifier et comptabiliser les espèces animales et végétales, identifier les braconniers à partir d’images de drones et faciliter de bien des façons la vie des protecteurs de la biodiversité. De même pour les usages des forêts et de l’eau, elle peut tirer énormément d’informations à partir d’images satellites ou de drones. Nous avons vu également que les satellites peuvent identifier les zones de production intense de gaz à effet de serre. Nous avons déjà vu l’association Bloom utiliser des images satellites pour démontrer que les navires usines pêchaient une grande partie de leur temps dans les zones marines protégées, nous pourrions confier cette surveillance à l’IA et alerter les autorités si elles souhaitent vraiment agir pour protéger l’Océan.

L’IA peut servir à promouvoir une agriculture durable, là encore avec les analyses d’images, pour prévenir l’arrivée des ravageurs, pour limiter l’usage des pesticides là où ils sont nécessaires, et pour ceux qui souhaitent s’en passer, ce qui est souhaitable, identifier le plus rapidement possible les solutions non chimiques pour protéger les récoltes. Idem pour les intrants, l’agriculture de précision permettrait de les limiter. L’IA peut également simplifier la vie des agriculteurs en naviguant à travers les normes et les processus administratifs pour leur faire gagner du temps précieux, c’est en expérimentation.

Pour ce qui est de l’énergie et de la consommation, l’IA permettrait certainement de mieux en réguler les usages, pour plus de sobriété.

Enfin, l’IA est un outil formidable pour créer des outils éducatifs, des idées de sensibilisation, pour rassembler des informations, et en faire le meilleur usage.

Mais tout cela nous le savons…

Le problème, c’est que nous sommes dans une civilisation qui croit pouvoir tout résoudre par la technologie. Et que nous constatons quotidiennement que cette croyance est elle-même une partie du problème. Nous traversons une crise, et nous croyons que cette crise n’aura que peu de conséquences, parce que la technologie est là pour y remédier, même si elle n’est pas encore inventée. Quand nous regardons en arrière, avec ces mêmes œillères, nous considérons que toutes les crises du passé ont été résolues avec la technologie, les épidémies avec les découvertes médicales que sont les antibiotiques et les vaccins, les guerres par une surenchère de technologie, les famines par l’accroissement des rendements agricoles. Ce n’est vrai qu’en partie.

Les épidémies n’auraient pas été jugulées sans les nombreux personnels médicaux sur le terrain, sans une logistique complexe. Les guerres n’auraient pas été gagnées sans les nombreux soldats sur le terrain et les stratèges pour les diriger. Les famines n’ont pas été jugulées par les seuls intrants et pesticides, mais par le travail acharné de nombreux agriculteurs, et le développement d’une industrie alimentaire. C’est le facteur humain.

Prenez les meilleures idées de la plus puissante IA, et construisez la feuille de route la plus parfaite, la plus convaincante, il vous faudra des humains pour exécuter le projet, des humains à convaincre avec de l’empathie, une capacité que n’ont pas les IA, des obstacles à surmonter avec de la créativité, là où les IA ne font que récapituler ou synthétiser des connaissances, des humains capables de faire des choix éthiques dans des circonstances difficiles, au milieu d’injonctions contradictoires, des humains capables d’auto-analyse pour réaliser que leurs comportements sont aberrants (3), des humains capables d’avoir une vision communicative qui motive les équipes et permette de croire en l’avenir.

Pour toutes ces raisons, le facteur humain est nécessaire, et le restera. Mais sur chacun de ces points, l’humain peut se faire accompagner. Je prendrai le seul exemple de la créativité, ceux qui me connaissent savent que je suis créatif. Mais quand il m’arrive de sécher, demander quelques idées à une IA me permet de rebondir avec de nouvelles idées. A quel moment ma créativité deviendra-t-elle dépendante de l’IA ? Ce n’est pas le cas aujourd’hui, car j’en modère mes usages. Je pense qu’en toutes choses, la sobriété est nécessaire. Et surtout s’appuyer sur une éthique solide, une éthique qui examine les conséquences de nos décisions pour qu’aucune de nos décisions ne nous enferme. Je pense à Hans Jonas, avec son principe responsabilité, une lecture indispensable, au moins dans ses grands principes. Demandez à une IA de vous résumer la pensée de Hans Jonas. Ce sera un très bon usage de l’IA.

« Dis-moi, IA, peux-tu me résumer la pensée de Hans Jonas dans son livre le principe responsabilité? »

Mais si vous voulez vous convaincre en profondeur de ses idées, il vous faudra lire son livre vous-mêmes ou expérimenter la puissance de ses idées sur le terrain…

P.S. pour écrire cet article, l’IA générative n’a été utilisée que pour générer les exemples cités (application écologiques de l’IA, en partie générés par une requête au Chat) et pour vérifier que la question sur Hans Jonas donnait des réponses pertinentes. L’amélioration de texte proposée par Copilot dans Word n’a pas été retenue. L’illustration a été obtenue sur midjourney avec le prompt :

“un arbre coloré à figure humaine qui puise ses racines dans un circuit électronique imprimé, aquarelle, légèrement futuriste”

Notes de bas de page

  • (1) Les investissements mondiaux des entreprises dans l’IA ont augmenté de près de 80 milliards de dollars annuels entre 2015 et 2022. Le marché mondial de l’IA est évalué à 327,5 milliards de dollars américains et continue de croître avec l’afflux des investissements, ce qui fait que ce chiffre est probablement déjà obsolète. Les emplois nécessitant des compétences en IA ont connu une croissance supérieure à celle de l’ensemble des emplois, avec une augmentation des offres 3,5 fois plus rapide que celle observée pour tous les autres postes depuis 2016.
  • (2) https://ekwateur.fr/blog/enjeux-environnementaux/empreinte-carbone-ia/
  • (3) OK c’est une qualité à développer au long d’une vie, et parfois elle met du temps à apparaître.